En vieux

Le gars, avec ses cheveux grisonnants mais pas encore trop ça va, ça passe, ça peut faire l’affaire. Mais on m’a dit que t’es beaucoup trop vieux ; pour quoi, tu sais pas en fait, ça, c’est l’affaire des gens qui disent que t’es trop vieux, pour faire un truc qu’ils aimeraient mais qu’ils refusent, juste par principe, mais des fois, les principes, c’est nul et ça te fait dire des choses débiles et ça te fait passer à côté d’histoires pas trop mal et même bien, mais tu veux pas, parce que vieux. Vieux. Veux. Vaut. Valoir selon des chiffres qui veulent pas dire grand-chose, veulent, tu veux, tu vieux. Tue vieux.

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Je voulais partir quelque part.

Je suis monté dans un bus.

J’ai demandé un billet.

Le chauffeur m’a dit « Vous allez où ? »

J’ai répondu « Quelque part. »

.

.

Je suis descendu du bus.

Il n’y a pas de billet pour quelque part.

Il n’y a que des billets pour des fins définies.

Du coup, j’irai, un de ces jours.

Le temps qui passe. Est passé. Devant moi.

Et je l’ai arrêté. Je crois.

Tu bois un truc. Un verre de vin, de chose qui pique la gorge, celle qui parle.

Les gens.

Qui te regardent de travers. Les gens, qui regardent mais ne voient rien.

Tu bois un verre, l’air de rien, tu dis un truc, dans le silence du soir embrumé, vapeurs. Ça passe comme ça, rien ne revient, rien ne se retient.

C’est verre eux que tu vas.

Tu dis pas grand-chose, tu veux t’exprimer autrement, à coup de mots et de photos mortes que tu fais plus, que tu dis plus, les mots disent le néant et l’absurdité de parler.

Verre la fin, tu diras bien. Faudra tendre l’oreille, l’ère de rien.

C’est juste une nuit de plus, des silences encore, des lumières douces dehors, parfois une voix, un bruit, une chose qui passe comme tant d’autres, t’attends, tu vois, tu te souviens, la nuit c’est fait pour les fantômes et les souvenirs qui souvent sont les mêmes.

A rien à dire, y a rien à faire, on dit que le passé n’existe plus et le futur n’existe pas encore ; mais le passé te colle à la peau dans tes moments présents, il vit encore, s’accroche désespérément à ta gueule fatiguée des nuits longues sans sommeil.

T’attends.

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Elle s’est effondrée à un cintre accroché à un fil électrique qui pend du plafond, tout pend. Mais ça ne tient pas. Rien ne peut. L’enfant regarde le fil et les yeux de sa mère qui ne disent rien. Rien ne dit.

Et puis plus tard, encore plus tard, c’est des médicaments dans un lit et de l’alcool dans la bouche et des « post-it » partout sur les murs de la cuisine, des dizaines de papiers jaunes, qui disent « on mange à 19 heures », et il est peut-être vingt heures ou plus, mais ça on sait plus, l’enfant était avec son père, celui qu’il ne voit pas souvent, ils étaient tous les deux, à faire des trucs entre papa et fiston, des trucs qu’on fait normalement mais que l’enfant ne faisait pratiquement jamais et là, ils les faisaient tous les deux; mais on mange à 19 heures, et les pompiers ont défoncé la porte à 19h30. Et l’enfant regarde les pompiers et sa mère et le lit et les mots sur les murs, et va à l’hôpital parce que c’est comme ça, ça se fait, d’accompagner à l’hôpital.

Et l’enfant accompagne, comme il peut, des années et des années.

Et puis un jour l’enfant a, comme ça, cinquante ans ; et il n’accompagne plus, il se souvient.

Juste une chose – 1

Attendre, c’est trottiner, petits pas, vers la mort, et la ligne d’arrivée, t’es sûr de l’atteindre.

Y a des victoires dont on se passe.

Et des échecs qui n’en sont pas.

C’était pas prévu.
Elle devait rentrer demain, et moi j’aime bien quand tout est organisé, proprement, quand ça ne se fait pas comme prévu, j’ai horreur de ça, mais je le fais quand même.

Elle m’avait appelé vers vingt et une heures. En disant qu’elle avait envie de me voir. Je savais pas si c’était réciproque, mais je suis bien élevé, et indécis.

J’ai jeté un œil à l’extérieur, j’ai senti le froid en m’approchant de la fenêtre fermée. Un peu de brume, pas trop, ce qu’il faut, pour marcher la nuit.

J’ai mis ma veste préférée, un truc qui te donne l’air d’un gars de la montagne, sauf qu’on est en bord de mer ; un déguisement de l’âme pour errer tranquille et se croire ailleurs.

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La main

L’enfant crie, fort, le père serre le poing,

Comme ça, comme une vie dans la main,

l’enfant crie, la mère se plaint,

l’enfant dit ce qu’il peut, les gens entendent et passent,

et le chien aboie parce que l’enfant crie, il répond,

sans savoir, c’est comme ça, on répond sans savoir.

L’enfant crie, notes de vie qui s’envolent, qui gênent, qui sont, elles ne seront plus bientôt, quand l’enfant ne criera plus et les parents fatigués.

Mais l’enfant crie et dit, avec ses notes à lui, on comprend pas, on écoute, on attend, on sait pas trop, on fait avec.

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J’emmerde la rose

On est bien peu de choses.

Et j’emmerde la rose.

Mignonne overdose. Overdose de vie pourrie. Vie pourrie par obligation. Vie dégueulasse par contrainte, libérons l’être, soyons libres.

Cueillez dès aujourd’hui, la vie, les regards, les bruits doux, les choses au hasard, comme ça, sans crier gare, des trucs qui passent, qu’on oublie, qu’on méprise tant ils sont banals, mais jamais banals, toujours primordiaux, toujours. Il le faut.

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Dans le bitume.

Dans le bitume des noires villes, naissaient chaque année des espoirs colorés, des fragilités heureuses, et le passant embrumé dans un quotidien morose se plait alors à déambuler au gré des balises printanières, celles qu’on attend tout un hiver et que l’on veut être symboles temporels d’une vie à jamais renouvelée, d’une espérance insatisfaite. Et le temps s’amuse, et les fleurs fanent, et elles reviennent, et de par ces rappels verdoyants au milieu d’un urbain triste, on revient sur des rêves en suspens et on y croit. Encore.

Photographie de Kristina Manchenko sur unsplash.com

A la ville, je n’veux plus y aller.

Y a quelque chose de cassé. C’est bizarre, ça m’a sauté à la gueule comme ça, sous le masque. J’étais dans le tramway et puis j’allais jusqu’au port, pour prendre un bus et rentrer, à Villefranche ; une balade rapide à Nice, plus brève que prévue d’ailleurs, je me suis rendu sur la Promenade des Anglais, y avait du soleil, du vent, des embruns, un peu de monde mais pas trop, des masques. J’ai voulu faire quelques photographies, j’en ai fait cinq, et puis je suis parti.

Y a quelque chose de foutu, et je sais pas si on peut réparer ça, et quand surtout.

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Maman m’a dit.

Maman m’a dit qu’il ne fallait pas que j’écrive, que j’arrête de penser à l’écriture, les nouvelles, la poésie, les romans, le théâtre. Que c’était pas le moment de penser à toutes ces choses. Que ce qui compte, c’est trouver un job alimentaire, parce que ça c’est important, trouver un job physiquement éprouvant, mal payé, chronophage, qui permet juste de bouffer et payer les factures, même pas de partir en vacances.

C’est important, de se conformer aux souhaits et exigences de la société et de la conjoncture qui veulent faire du citoyen un bon petit soldat économiquement responsable et politiquement irréprochable.

C’est important, de se rappeler ce moment de vie, quand maman avait fait une énième tentative de suicide, que le docteur de la famille, le gentil docteur que je voyais comme un héros discret, humain, compréhensif, avait alors dit à l’élève brillant que j’étais que je ferais mieux d’arrêter les études, à quinze ans, de trouver un job (alimentaire), une formation, un truc quoi, pour aider papa-maman à payer les factures.

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Et c’est pour ça, qu’on attend.

Annihilation des motivations.

Dans l’attente d’une libération.

Libération des volontés, des projets, des plans d’action.

On attend comme des cons. On attendait un feu-vert, on a eu un couvre-feu.

On attend, qu’on nous donne l’autorisation d’espérer à nouveau.

Tout est en pause : seul le travail continue et seules comptent les heures passées en subordination.

Se lever devient un défi, croire une quête, programmer un challenge, et vivre une attente.

Des masques, des papiers, des écrans avec QR code, des peurs, croiser un flic, rentrer trop tard, cocher la mauvaise case. Et puis choper un virus.

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De la pluie, un train et une paquet de clopes

Photo de Cat Crawford sur Pexels.com

C’était un jour comme aujourd’hui : il pleuvait, gris, froid, un printemps sur la Côte.

J’ai pris le train pour Tende. En fin de matinée.

Dans ce train, j’étais tout seul dans la rame ; j’ai mis mon casque sur les oreilles, y avait Makeba, de la chanteuse Jain, c’est la première chanson qui s’est lancée.

J’ai regardé le paysage, c’était joli, dans cette grisaille, cette brume, j’adore ça, dès qu’on monte un peu dans les terres, je crois que je suis plus un gars de la montagne que de la mer, le train est passé par des villes que je n’avais jamais visitées, je me suis dit qu’il fallait que je revienne, un autre jour, dans d’autres circonstances.

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Le gâteau.

Photo de Samad Ismayilov sur Pexels.com

Je sonne, elle ouvre, elle a une tenue, ce genre de tenue, tu sais, qui te fait dire que ça va bien se passer ou très mal se passer, ou que rien ne va se passer.

Je rentre. On dit des trucs un peu banal.

Elle me dit « Bon, faut être clair, j’ai rencontré un gars, il est gentil. »

Je lui dis « Gentil comment ? Comme ta tenue ? »

Elle me répond non, lui, il est vraiment gentil.

J’entends, pas comme toi. Mais je suis gentil, parce que si j’étais pas gentil, avec ta tenue, je t’aurais déjà plaquée contre un mur.

« OK, et donc ? Faut plus que tu me voies ? Tu veux juste voir ton gars gentil ? »

« Ouais, c’est ça, faut plus qu’on se voie »

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Les joues des autres

Photo de Pixabay sur Pexels.com

Tu le sais bien.

Y a que toi.

Les autres, celles qui sont là, devant moi, à tortiller du cul, à balancer des parfums, des sourires, des regards qui te disent « oui, hein, t’as vu, mais non baltringue », ben c’est juste des morceaux de petits bonheurs qui passent devant moi, que je prends comme ça, histoire d’un plaisir des yeux éphémère, juste comme ça, c’est juste des bouts de vie, des bouts de moments furtifs, des bouts de joie de l’âme, des trucs qui passent, je regarde, et j’oublie juste après. C’est rien, tout ça, c’est juste apprécier la beauté, on peut apprécier ce genre de chose sans remettre en question les autres bouts de vie, ceux qui comptent, ceux qui font qu’on se lève le matin, qu’on regarde à coté de soi, qu’on voie une femme endormie, qu’on lui prépare le café, qu’on sait qu’elle va gueuler parce qu’on est rentré tard, mais c’est pas grave, c’est juste un bout de vie auquel je m’accroche, contrairement aux autres qui s’évanouissent dès que tu me regardes. Poursuivre la lecture de « Les joues des autres »

Sans sens.

Photo de Vladyslav Dukhin sur Pexels.com

L’abstraction d’une plénitude intemporelle nous conduit sur les remparts de la connaissance, avec comme armes désamorcées nos attentes illusoires d’un monde sans savoir mais sans cris. Sans crimes et sans devoir. Sans s’échoir sur un rocher vide de sens, égratignant nos plaisirs éphémères. Les navires sans phares nous enjoignent à suivre leurs lignes flottantes, les phares sans éclat se livrent à des jeux d’ombres qui nous cavernent dans des états sombres, des états de silence dans l’espoir d’une lueur, loin, des lumières qui s’envolent après les horizons.

Et quand les horizons se fanent ne reste que l’unisson d’un râle. Et tu entends les vagues d’ennui, tu entends le clapotis des chaines qu’on déchaîne et qu’on tourne autour des rêves engloutis.

L’inénarrable silence emplit de sa froideur suave les temps impartis, qui reviennent et se posent, comme mille oiseaux qui branchent, sautant de larmes en lèvres asséchées par l’absence, sautant de ma vie à ton ombre, lumière fut, noir déçu, noir fendu par un halo de vie,

Et je chante.

Le silence qui pleure.